Gilles Lécuelle fait le point sur les conséquences de la réforme du Code du travail suite à la publication des ordonnances. Tout en rappelant les positions critiques de la CFE-CGC, le secrétaire national confédéral explique combien la CFE-CGC, avec l’appui de ses sections syndicales, va plus que jamais accompagner les salariés dans les entreprises.
Après la présentation des ordonnances et en attendant la publication officielle des décrets, comment la CFE-CGC appréhende-t-elle la suite ?
Nous entrons dans la phase d’application d’une réforme gouvernementale passée en force. Les décrets officiels vont venir préciser quelques mesures, en particulier la question des modalités et des moyens alloués dans le cadre de la fusion des instances représentatives du personnel. D’ores et déjà, la CFE-CGC va s’atteler à déminer tous les pièges sur le terrain afin de limiter les impacts négatifs des ordonnances dans les entreprises pour les salariés, pour nos adhérents et pour nos militants.
- “Le volet rémunération est le plus dangereux pour les salariés”
Quels sont les principaux risques pour les salariés ?
Le volet rémunération est le plus dangereux puisque ce sont désormais les entreprises qui pourront négocier le 13e mois et les primes d’ancienneté, sans que la branche puisse apporter la moindre régulation. La possibilité donnée aux entreprises de baisser les rémunérations va pénaliser les salariés tout au long de leur carrière. Le plafonnement des dommages et intérêts versés aux prud’hommes en cas de licenciement abusif est également préjudiciable mais cela ne concerne que très peu de salariés. Nous sommes en revanche très inquiets concernant les nouvelles dispositions facilitant les licenciements économiques. C’est catastrophique. Et ce n’est pas le fait de remonter de 25 % les indemnités de licenciement qui vient compenser les conséquences désastreuses pour un salarié de la perte de son emploi.
Que vous inspire le nouveau dispositif de rupture conventionnelle collective ?
Les employeurs vont pouvoir, sans raison économique, mettre en place des plans de départs volontaires. Soyons clairs : ce sont des pré-retraites et des plans sociaux déguisés qui vont largement impacter les seniors.
- “Un risque de détérioration du climat social dans l’entreprise”
Vis-vis-de ses militants, comment la CFE-CGC se prépare-t-elle à la fusion des instances représentatives du personnel (CE, DP et CHSCT) en une instance unique : le comité social et économique ?
Cette fusion imposée des IRP, entraînant la disparition du CHSCT, jette la suspicion sur l’ensemble de la réforme gouvernementale. La CFE-CGC exige que les moyens alloués à la nouvelle instance soient renforcés. C’est un minimum : il serait en effet paradoxal d’affirmer vouloir renforcer le dialogue social dans les entreprises tout en diminuant les moyens de l’exercer dans de bonnes conditions ! Les « super héros » qui seront élus ne pourront pas tout faire. Il faut absolument mutualiser les moyens au niveau de la section syndicale pour répondre au mieux aux problématiques spécifiques des salariés. Une des principales missions des élus et militants, c’est en effet de capter les signaux faibles du terrain et de les traiter avant qu’ils ne s’amplifient. Pour cela, il faut avoir les moyens d’y aller. En l’état, le risque est grand d’une détérioration du climat social dans l’entreprise.
Le gouvernement présente cette réforme comme faite en premier lieu pour les TPE et les PME.
Les ordonnances reprenant toutes les vieilles lunes du Medef, il est difficile d’affirmer que cette nouvelle loi travail est faite pour les TPE et les PME ! Au contraire, toutes les mesures – licenciement facilité, prise en compte du périmètre national pour les difficultés économiques, fusion des IRP imposée pour les entreprises de plus de 300 salariés (c’était déjà le cas en-dessous de ce seuil par la loi Rebsamen) – concourent à aider les multinationales et les grands groupes financiers à faire encore plus de cash pour distribuer toujours plus de dividendes aux actionnaires.
Dans quelle mesure les branches professionnelles sont-elles affaiblies ?
C’est un mensonge que de prétendre que les ordonnances renforcent la branche. Celle-ci n’a de cesse d’être affaiblie depuis 2004 jusqu’à la loi El Khomri l’an passé avec l’inversion de la hiérarchie des normes. Les ordonnances enfoncent le clou puisque seule subsiste une liste de 11 thèmes (minima salariaux, classification des métiers, durée du travail, CDD…) qui demeurent du ressort de la branche professionnelle. Dans tous les autres domaines (primes, conditions de sécurité…), les entreprises négocieront ce qu’elles veulent, y compris dans un sens défavorable aux salariés.
- “Valoriser la mission syndicale et lutter contre les discriminations syndicales en entreprise”
Seules les dispositions sur le télétravail et celles visant à mieux reconnaître les parcours syndicaux (rapport Simonpoli) semblent faire office d’avancées, désormais à concrétiser…
La droit au télétravail pour les salariés qui peuvent y prétendre est une bonne chose tout comme la prise en compte, désormais, des accidents de travail dans le cadre du télétravail. La nécessaire valorisation de la mission syndicale et la lutte contre les discriminations syndicales en entreprise sont des sujets capitaux que la CFE-CGC défend depuis des années pour favoriser le syndicalisme du 21e siècle. Il faut permettre au personnel de l’encadrement de remplir sa mission syndicale dans l’entreprise tout en conciliant sa carrière professionnelle. Notamment en adaptant la charge de travail en fonction des prérogatives syndicales et en valorisant l’expérience syndicale acquise avec les mandats.
Comment jugez-vous la méthode gouvernementale de concertation, qui pourrait être reconduite pour les prochains grands dossiers au menu de l’agenda social (réformes de l’assurance chômage et de la formation professionnelle) ?
Ces concertations bilatérales sont dangereuses car le gouvernement n’a pas joué le jeu, passant en force et faisant fi des discussions. Les lignes étaient tracées d’avance, alors même que la CFE-CGC a joué le jeu en faisant valoir ses propositions, sans qu’aucun texte ne soit jamais remis pendant les réunions. La diversité des analyses portées par l’ensemble des partenaires sociaux enrichit le débat, fait évoluer les points de vue, facilite la recherche d’une solution consensuelle. La méthode des bilatérales a conduit les quatre premières organisations syndicales à donner un avis défavorable dans les instances officielles consultées. Est-ce cela le renforcement du dialogue social, objet affiché de ces ordonnances ?
Propos recueillis par Mathieu Bahuet