Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Patrick Bernasconi revient sur le rôle et les missions de la troisième assemblée de la République, composée de 61 organisations. L’ancien président de la Fédération nationale des travaux publics passe également en revue les grands sujets d’actualité et nous livre sa vision du paritarisme et du dialogue social. Entretien.
Le CESE a publié, fin mai, son rapport annuel sur l’état de la France. Qu’en ressort-il ?
Ce rapport annuel, qualitatif et chiffré, s’appuie sur dix indicateurs autres que le PIB : taux d’emploi, endettement, espérance de vie en bonne santé, inégalités de revenus, sorties précoces du système scolaire etc. Il met en exergue l’extrême pessimisme collectif qui règne dans la société française, alimenté par un certain nombre d’inégalités (éducation, logement…) et de fragilités, sans oublier le contexte anxiogène lié au terrorisme. A titre personnel, je perçois aussi parfois un sentiment de déclassement ressenti par nos concitoyens quand ils comparent la France à d’autres pays européens.
Parmi ses préconisations, le CESE en appelle notamment à une refondation de la cohésion nationale.
Si la France reste un des pays les moins inégalitaires, notamment grâce à la redistribution opérée par l’action publique, ces inégalités se sont sensiblement accrues ces dernières années. Il s’agit donc, face aux grandes mutations auxquelles nous sommes confrontés, de refonder cette cohésion nationale par divers leviers dont la scolarité – une priorité absolue – et l’emploi. La France se trouve à un carrefour de son histoire qui nécessite un sursaut collectif. Notre pays rencontre de réels problèmes en matière d’emploi, d’innovation, d’endettement ou de réponses à la crise écologique. Notre incapacité à définir un projet commun aggrave cette situation. Il faut donc se mobiliser pour capitaliser sur les nombreux atouts que compte notre pays. Et ainsi répondre aux nouveaux défis du XXIe siècle.
- “Le CESE est au rendez-vous de chacun des grands sujets d’actualité”
Comment la troisième assemblée de la République, composée de représentants sociaux (dont le Groupe CFE-CGC), contribue-t-elle à nourrir le débat public ?
Outre ce rapport obligatoire sur l’état de la France, le CESE traite des grandes problématiques économiques, sociales et environnementales sur saisine du gouvernement ou du Parlement, ou par auto-saisine. Le CESE fait entendre la voix de la société civile organisée. En irriguant les travaux des pouvoirs publics par nos recommandations proposées par les citoyens que sont les représentants de la société civile organisée, le CESE est un incubateur de réformes contribuant régulièrement à nourrir la loi. En lien avec les grands sujets d’actualité, nous articulons nos travaux avec certains de ceux menés par la Cour des Comptes (ex : pôles de compétitivité, addictions, emploi des seniors), France Stratégie et le défenseur des droits (culture du dialogue social, discriminations syndicales, violences faites aux femmes…). Nous sommes prêts à travailler sur de nombreux sujets. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a d’ailleurs déjà fait part de son intention de saisir le CESE. Tout comme Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées.
Quels ont été les grands avis et temps forts de cette année ?
En début d’année, le CESE a adopté, en présence de François Hollande, une résolution afin de « poursuivre résolument la lutte contre la grande pauvreté » faisant suite au rapport de Joseph Wresinski. Nous travaillons avec d’autres organismes pour faire une évaluation des diverses politiques publiques sur cette thématique. Nous avons par ailleurs produit divers avis sur le revenu minimum garanti, sur la fonction publique, sur les travailleurs détachés… Le CESE est au rendez-vous de chacun des grands dossiers : transition énergétique, impacts du numérique, déserts médicaux etc. A l’occasion de notre prochaine conférence plénière (11 et 12 juillet), un travail de prospective sera mené en croisant nos précédents travaux, notre programme et la feuille de route du nouveau gouvernement.
- “Le CESE est une assemblée active à l’écoute des Français, de leurs préoccupations et de leurs aspirations”
Vous avez mis en place une plateforme de participation citoyenne. Quel en est l’objectif ?
Le CESE doit s’adapter car il représente la société civile, elle-même en perpétuel mouvement. Les citoyens veulent plus que jamais prendre part aux débats qui les concernent. L’évolution technologique facilite cette prise de parole à laquelle s’adapte notre institution. Le CESE est une assemblée active à l’écoute des Français, de leurs préoccupations et de leurs aspirations au changement. Nous avons donc souhaité élargir l’espace de la pétition citoyenne en créant une plateforme d’expression dédiée ainsi qu’un comité de veille pour les pétitions numériques de manière à pouvoir nous autosaisir d’une pétition circulant sur les réseaux citoyens.
Mal connue par l’opinion publique, le CESE fait parfois l’objet de critiques quant à son utilité.
Il n’est jamais bon de s’en prendre aux outils de la démocratie, que ce soient des attaques à l’encontre de l’Assemblée nationale, du Sénat ou du CESE. La démocratie a besoin d’outils pour bien fonctionner. Tout comme nous avons besoin de travailler avec les corps intermédiaires et les syndicats, eux aussi parfois victimes d’attaques injustifiées alors qu’ils sont des facteurs d’équilibre pour la République. Le CESE – dont plus de 70 pays sont aujourd’hui dotés ! – est un outil indispensable permettant de travailler avec les corps intermédiaires et de faire entendre la voix de la société civile.
- “Il faut louer le rôle d’amortisseur joué par le paritarisme et les partenaires sociaux”
Quel regard portez-vous le paritarisme ? Comment améliorer l’efficacité du dialogue social ?
Les règles de la représentativité issues de la loi de 2008 sont en train de produire leurs effets pour les organisations syndicales de salariés et patronales. Il y a de gros enjeux autour du paritarisme, certains sont peut-être à clarifier. Au-delà, il faut surtout louer le rôle d’amortisseur que joue traditionnellement, en France, le paritarisme et les partenaires sociaux qui font office de filtre entre les pouvoirs publics et les diverses corporations. Les corps intermédiaires sont donc un relais indispensable. Mais il convient de les moderniser, en allant encore plus loin en termes de transparence, de financement, de méthodologie de négociation… Autant de sujets sur lesquels il faut prendre le temps de réfléchir sereinement.
Propos recueillis par Mathieu Bahuet